Éloge du mouvement : conversation avec Jean-Marcel Ferret

Éloge du mouvement : conversation avec Jean-Marcel Ferret

Éloge du mouvement, comme un discours pour célébrer… LE mouvement. Mais avant tout celui d’un ostéopathe en la personne d’Etienne Bulidon pour honorer au travers ce livre, son mentor en médecine du sport qui de ses mots « s’est rapidement tourné vers des traitements mécaniques face au cul-de-sac pharmacologique et ses inconvénients » : Jean-Marcel Ferret.

Le Dr. Ferret si tant est qu’il soit nécessaire de le présenter, a été un des premiers médecins du sport en France dont la riche carrière de plus de quarante années de pratique dans le sport amateur, et dans le sport de haut niveau plus particulièrement dans le football, l’a principalement amené à s’occuper de l’Olympique Lyonnais (1976 – 2008) et de l’équipe de France de football (1993 – 2004) championne du monde (1998) et championne d’Europe (2000).

Éloge du mouvement, un recueil passionnant et sans langue de bois qui retrace un condensé des propos de ce ponte de la médecine sportive qu’Etienne Bulidon a pu récolter au travers leurs nombreux entretiens et échanges. Un livre que j’ai souhaité à mon tour mettre en avant. Comme une cerise sur le gâteau au moment où je finalise l’écriture de mon propre article sur la mobilité.

Extraits.


ℹ️ Si certains propos parfois directs sont évidemment sortis de leur contexte, ils n’ont pas vocation à orienter ou à polémiquer. Mais bien à retracer de manière fidèle la vision et la philosophie du Docteur Jean-Marcel Ferret sur différents sujets de la médecine sportive, qu’Etienne Bulidon nous fait partager dans « Éloge du mouvement ».

Pour approfondir et complémenter votre lecture si vous le souhaitez, n’hésitez pas à vous procurer l’ouvrage. Vous trouverez les détails à la fin de l’article.


Sommaire



Immobilisation vs mouvement

JMF : Il faut savoir qu’à l’époque, on avait tendance à immobiliser les entorses, contusions ou accident musculaire par un plâtre par exemple. Le maître mot était repos, il était difficile d’y déroger, avec les séquelles et les conséquences que cela pouvait entraîner sur les plans de glissement et donc sur la récupération. Tout cela est maintenant complètement obsolète, on sait à présent que c’est le mouvement qui va permettre une bonne cicatrisation. […] Par le mouvement et la mise en situation le plus rapidement possible, la cicatrisation est accélérée sans complication ni AINS (NDLR : anti-inflammatoires non stéroïdiens). Une éloge au mouvement.

Le mouvement reste la meilleure recuperation pour faire suite a une blessure
Le mouvement reste la meilleure récupération pour faire suite à une blessure.

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Gare à la médecine « presse-bouton »

En ville, le patient demande souvent une efficacité immédiate : le danger est de tomber dans une médecine symptomatique, « presse bouton », qui traite les symptômes par des antalgiques mais pas les causes provoquant la douleur.

Jean-Marcel Ferret

JMF : Sur une tendinopathie par exemple, il y a toujours une cause qui est le plus souvent multi-factorielle : par association de problèmes métaboliques (acidose) et mécaniques (troubles statiques). La tendinopathie ne survient pas à un moment donné par hasard. Il y a toujours une explication : changement de chaussures , changement d’entraînement, un problème ostéopathique post-traumatique avec perturbation biomécanique, etc. Par conséquent, donner un AINS pour supprimer la douleur ne résout pas le problème.

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Staff médical (d’une équipe professionnelle) et pluridisciplinarité

JMF : Avant tout, il est important d’avoir un médecin qui connaisse bien la traumatologie et la physiologie. Il faut ensuite plusieurs kinés, un ostéopathe, un médical trainer (« entraîneur de blessés »), ces gens là formant le cercle rapproché de l’équipe, puis un diététicien-nutritionniste, un podologue et un psychologue.

Ce que je crains un peu, c’est le kiné qui est à la fois kiné et ostéo. Dans un club, ce n’est pas forcément très bon, il vaut mieux différencier les choses. Dans un grand club, le médecin représente le chef d’orchestre et a à sa disposition toute une équipe. Il doit ainsi coordonner les soins pour éviter la cacophonie et donc faire en sorte que chacun reste à sa place. C’est comme ça qu’on va être très efficace.

[…]

Il faut aussi un préparateur physique évidemment, ce qu’on appelle « medical trainer », pour s’occuper des blessés. Le kiné s’occupe d’eux un certain temps puis il passe le relais au medical trainer. Encore une fois, pour être efficace, il faut faire le bon diagnostic, le bon traitement, et remettre le sujet le plus vite possible sur le terrain dans de bonnes conditions, c’est-à-dire quand il a récupéré ses qualités antérieures.

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Le monde médico-sportif : un milieu enfumé

JMF : Il y a beaucoup d’enfumage dans le monde médico-sportif. Je me souviens des premiers congrès auxquels j’ai participé avec la FFF, dans lesquels j’avais des confrères qui présentaient des études de grande qualité. J’étais impressionné, je me demandais comment ils pouvaient réaliser de telles études. Puis en creusant un peu, je me suis rendu compte que c’était du pipeau.

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Lobbying pharmaceutique et prise en charge

JMF : Il existe effectivement des visiteurs médicaux qui viennent vanter leurs produits et qui savent exactement qui les prescrit, ce qui est un peu anormal à mon avis. Je prescrivais très peu d’anti-inflammatoires à ma patientèle. Cela m’arrivait dans le cas de complications quand il le fallait, mais ce n’était pas du tout systématique. Alors effectivement, mes collègues se faisaient inviter et moi non (rires). Ça représente un peu les rapports anormaux entre les visiteurs médicaux et les médecins.

Il est certain qu’on est très branché pharmacologie en France parce qu’à part remplir une ordonnance de produits pharmaceutiques, le médecin a peu de possibilités thérapeutiques à sa disposition… Il n’est pas formé pour expliquer aux kinés ce qu’il faut faire et il est objectivement très difficile de prescrire des traitements mécaniques sans avoir le contrôle de ce qui est effectivement réalisé. L’idéal reste donc d’exercer dans un centre et d’avoir une communication constante avec ses collaborateurs, en véritable équipe thérapeutique.

Ce n’est pas avec des anti-inflammatoires que tu solutionnes les problèmes.

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Imagerie et interventions chirurgicales

JMF : À la fin de ma carrière, des patients venaient me voir pour savoir s’il fallait se faire opérer d’un ménisque par exemple, parce que l’imagerie est devenue tellement performante qu’elle objective des anomalies non-parlantes cliniquement.

C’est la clinique qui compte, on opère pas une image.

On peut prendre l’arthrose en exemple. J’en ai traité beaucoup par des moyens mécaniques. Je conseillais parfois de ne pas se faire opérer car le problème n’allait pas être réglé. Or, on ne peut pas revenir en arrière après une opération, donc il vaut mieux essayer de tout mettre en œuvre avant en prenant les bonnes décisions pour le patient. 

C’est le mouvement qui crée la fonction. Il faut remettre l’articulation très progressivement en mouvement, en prenant des précautions évidemment. En faisant cela, je n’ai eu que très peu d’échecs lorsque l’observance (NDLR : adéquation entre le comportement du patient et le traitement proposé) était correcte. J’ai vu des gens qui avaient des problèmes de genou reprendre l’activité progressivement (le vélo, la natation et parfois la course à pied), en arrêtant les médicaments.

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Observance thérapeutique et responsabilisation

JMF : En revanche, l’observance est lourde, c’est à dire qu’il faut bien souvent faire 20 minutes de rodage articulaire tous les jours, ou au minimum 5 jours par semaine, et il faut s’y tenir. Le soutien de l’équipe thérapeutique est alors capital, il faut revoir le patient régulièrement et le remotiver. Car quand on commence à prendre en charge une arthrose assez sévère, il va souvent falloir six semaines voire deux ou trois mois pour sentir les bénéfices. Le patient peut même ressentir plus de douleurs au début. Il faut persévérer car c’est vrai qu’il est plus facile de prendre des cachets.

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Jeunes et aptitudes physiques

JMF : Aujourd’hui, on se déplace en voiture (et en trottinette) et on passe nos journées assis devant l’ordinateur et la télé. Même les enfants bougent de moins en moins. Des études ont d’ailleurs montré que les gamins de 10 ans ont perdu une minute sur le 600 m en une vingtaine d’années. C’est énorme. il y a de moins en moins d’activité physique spontanée de la part de l’enfant. Certains ont seulement une activité physique minimum organisée par l’école, rien de plus.

📝 Ce que confirme cette nouvelle étude dirigée par l’OMS, les auteurs relevant toutefois certaines limites dont il est important de tenir compte.
Les aptitudes physiques chez les jeunes continuent de baisser
L’aptitude physique chez les jeunes continue de diminuer.

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Courbatures et acide lactique

JMF : On sait que le muscle se dégrade après tout effort. Les fameuses courbatures musculaires sont dues à l’inflammation en lien avec la régénération musculaire – et non à l’acide lactique, comme on disait autrefois.  C’était une connerie absolue, mais on l’entend encore. Demande à ton généraliste, il te dira qu’après une blessure musculaire, il faut arrêter un mois… Mais non! Il faut commencer à solliciter le muscle au bout de trois à cinq jours selon la gravité de la blessure.

NB : cette partie en guise de dédicace à messieurs Didier Reiss et Pascal Prévost 😉
Eloge du mouvement les etirements pour eviter les courbatures une idee recue
Les étirements pour éviter les courbatures une idée reçue.

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Le bon traitement, c’est le mouvement

JMF : On commence seulement aujourd’hui à entendre que « le meilleur médicament, c’est l’activité physique ». Même sur le plan cognitif, dans les maisons de retraite ou pour des patients qui ont des problèmes neurologiques, il faut les remettre à l’activité. Cela fait 40 ans que je dis que le sport est le meilleur traitement et le meilleur moyen de prévention, mais il paraît que pour être prophète en son pays, il faut du temps…

Vouloir donner la souplesse d’une danseuse étoile à un footballeur est une erreur, c’est extrêmement important de le savoir.


NB : nous verrons dans mon prochain article à paraître sur la mobilité, l’approche mesurée que tout(e) praticien(ne) doit avoir dans sa considération du mouvement…

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Cryothérapie et traitement par le froid

JMF : Un bain froid immédiatement après l’effort va augmenter la vasodilatation profonde et entraîner une vasoconstriction périphérique.
Mais je crois que le bain froid et la « cryothérapie » sont devenus un phénomène de mode. Cette mode est venue du rugby, aujourd’hui sport de combat, les gars sont vraiment marqués sur le plan tissulaire après les matchs : contusions, ecchymoses superficielles multiples. Les rugbymen se trempent dans les bains d’eau froide, en dessous de 8°C, de manière à limiter l’extravasation sanguine sur ces petites ecchymoses et ainsi limiter les dégâts tissulaires superficiels pour permettre une reconstruction beaucoup plus précoce. Ceci est la première indication du bain froid. Le froid est soudainement devenu excellent pour la récupération mais il y a peu de preuves scientifiques. 
[…]

Eloge du mouvement la cryotherapie un phenomene de mode
La cryothérapie, un phénomène de mode.

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Commander le livre « Éloge du mouvement »

Pour obtenir le livre (en PDF), cliquez ici.
Pour le format papier et pour celles et ceux qui résident à Lyon, contactez la boutique Spode (sous-réserve qu’ils leur restent des exemplaires).
Eloge du mouvement le livre detienne bulidon
Le livre « Éloge du mouvement »

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Avec l’aimable autorisation d’Etienne Bulidon. Et surtout la santé!

Olivier Allain

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Référence

Bulidon E., Spéciale S. Éloge du mouvement – Conversation avec Jean-Marcel Ferret. (2018)


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